Mais, qu'est-ce que l'Occident ? Que signifie occidentalisation ? Pourquoi le Japon est-il considéré plutôt comme occidental et non la Chine ? Où situera-t-on Shanghai ? La Russie fait-elle partie de l'Occident ?
De ces incertitudes, il est évident que l'Occident n'est pas une entité géographique. Probablement, est-il né d'emblée, instauré comme état d'esprit lorsque les Grecs, il y a 25 siècles, se perçurent comme d'Occident face aux Perses d'Orient. Ayant perdu toute base territoriale simple depuis lors, « l'Occident » a toujours été un concept universel plus qu'une notion géographique.
Être occidental ou occidentalisé
Aucune représentation géographique de l'Occident n'est viable puisque certaines nations asiatiques sont devenues occidentales (Japon, Taïwan), tandis que des groupes non occidentaux (musulmans en Europe) vivent dans des pays dits occidentaux, que des pays orientaux sont partiellement occidentalisé
Cet Occident mental est un état d'esprit que l'on pourrait définir par trois caractéristiques fondamentales que l'on retrouve difficilement dans les civilisations orientales : la passion pour l'innovation, la capacité de l'autocritique et l'égalité des sexes.
« Quoi de neuf ? »
Le salut employé depuis l'époque romaine, « Quoi de neuf ? » est l'essence même de l'esprit occidental. A contrario, les non Occidentaux placeront plutôt la tradition avant l'innovation. L'innovation en Occident est le socle au fondement des avancées scientifiques : le conflit avec les sociétés non occidentales conservatrices en devient inéluctable. Mais au sein de l'Occident lui-même, la dynamique de l'innovation suscite ce que nous pourrions appeler « l'occidentalisation de l'Occident ».
L'Occident ne cesse, en effet, de détruire ses propres traditions, y compris ses religions. L'économiste Joseph Schumpeter a qualifié ce processus de « destruction créatrice », terme qui pourrait s'appliquer à tous les domaines de la vie. Les conservateurs occidentaux ne sont pas moins enclins à la destruction créatrice que les progressistes occidentaux : il est connu qu'ils inventent des traditions. Ils sont, en somme, plus occidentaux que conservateurs. On pense à Benjamin Disraeli, Premier ministre britannique du XIXe siècle, qui a inventé la plupart des soi-disant traditions anciennes de la monarchie britannique.
Autant que l'innovation, l'autocritique est une caractéristique occidentale. Dans la plupart des civilisations non occidentales, si ce n'est dans toutes, l'orgueil et l'amour de soi excluent l'autocritique ou au moins la critique de sa propre civilisation. Un savant musulman ou chinois ne peut être défini comme véritablement chinois ou musulman s'il critique son propre monde. Ce n'est pas tout à fait le cas en Occident.
Le savant occidental garde sa légitimité même s'il critique vertement les valeurs occidentales, alors qu'aucun Nietzsche chinois ou musulman n'affirmerait à notre connaissance que son propre dieu est mort. Un Montaigne chinois ou musulman serait-il prêt à écrire que les « Indiens sauvages » sont peut-être plus sages que nous, comme le fit Montaigne au XVIe siècle ?
Il existe probablement des Montaigne ou des Nietzsche chinois ou musulmans, mais il y a peu de chances pour qu'ils soient un jour reconnus comme des figures phares de leur civilisation. L'autocritique - et non l'amour de soi - avec le relativisme culturel qui l'accompagne forment l'ossature de la mentalité occidentale.
Il en va de même pour l'égalité des sexes, même si cela n'a pas toujours été le cas. Que les femmes soient inférieures aux hommes - un préjugé prévalait dans les religions grecque ancienne, juive et chrétienne - est controversé en Occident depuis des siècles. De nos jours, l'égalité des sexes en Occident est la norme, ce qui n'est pas le cas dans une grande partie des civilisations non occidentales. D'aucuns soutiennent que l'égalité des sexes est une conséquence du processus de modernisation et non de l'occidentalisation
Trois grandes questions
Si nous acceptions la définition de l'Occident comme état d'esprit, trois grandes questions restent posées : l'Orient peut-il être modernisé sans être occidentalisé ? Où se passe la frontière entre Occident et Orient ? L'Ouest restera-t-il occidental ?
Jusqu'à présent, l'histoire ne fournit pas d'exemple de modernisation non occidentale. Le discours sur les valeurs asiatiques, qui a vu le jour à Singapour, est essentiellement politique. Ce n'est qu'après avoir embrassé l'innovation à l'occidentale et l'autocritique que les pays asiatiques sont devenus modernes.
Ils n'en sont pas moins asiatiques. Coréens et Japonais d'aujourd'hui demeurent totalement coréens ou japonais mais ils sont plus proches des Occidentaux que de leurs propres ancêtres. De même, les Egyptiens ou Saoudiens modernes sont plus proches des Français ou des Américains que de leurs aïeux arabes.
L'occidentalisation fait-elle des Egyptiens ou des Saoudiens modernes des Arabes moins authentiques ? Ce débat a lieu dans toutes les sociétés orientales : ce qui nous amène au véritable choc des civilisations. Toutes les sociétés contemporaines sont fragmentées entre les pro- et les anti-occidentalisat
Cette controverse sur les effets irréversibles de la modernisation, qualifiée aussi de « crise d'identité », n'épargne pas les pays occidentaux. Des groupes de fondamentalistes, non négligeables en Occident même, luttent contre le processus d'occidentalisation au nom de traditions anciennes ou reconstruites. Mais une société occidentale où l'on ne commencerait pas la journée par « quoi de neuf » ne serait plus occidentale.
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