Si le fait, pour certains hommes, de s’interroger d’une manière lancinante, aiguë, sur l’origine et l’horrible omniprésence si multiforme du mal sur la terre, constitue une expérience universelle qui resurgit à toutes les époques, il faut assigner au dualisme religieux proprement dit une filiation historique qui remonte à l’Iran.
On remontrait tout d’abord à Zoroastre, qui vécut vers 600 avant notre ère : sa révélation fait bien, du monde et du temps, le théâtre de l’affrontement historique des deux principes opposés.
Au IIIe siècle après Jésus-Christ apparaîtra le manichéisme, que l’on peut considérer comme la vraie source première et précise du catharisme. Il s’agit du système de Mani ou Manès, autre grand réformateur iranien, qui vécut au IIIe siècle de notre ère. Mani, qui se proclamait le quatrième grand missionné divin (après Zoroastre, Bouddha et Jésus), développait avec une logique impitoyable la doctrine dualiste : deux principes engendrés et équivalents dont l’affrontement donne naissance au douloureux drame historique qui est l’existence même du monde sensible, de la matière
Le manichéisme se répandra très vite en Occident, mais pour y connaître d’atroces persécutions : compte tenu de la possibilité de quelques noyaux très secrets de survivance, il sera même pratiquement éliminé d’Europe occidentale, quand s’épanouira bien plus tard le catharisme. Celui-ci surgira donc à la suite d’une nouvelle vague de dualisme. Vague manichéenne sans nul doute à l’origine, mais qui se présentera sur les (?) idéologiques. Le catharisme proprement dit, dont la période d’épanouissement va du XIe au XIVe siècle après Jésus-Christ, comprend en fait quatre ordres historiques (par ordre d’apparition) :
Les Pauliciens, les Bogomiles, les Patarins et enfin les Cathares proprement dits. La même religion dualiste, certes, mais dont l’histoire, voire complète, nous mènerait de l’empire byzantin et des Balkans
l’Italie, puis à l’Europe occidentale : France et Catalogne principalement, mais avec des noyaux en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Quant aux Albigeois, c’est tout simplement le nom géographique qui fut donné aux Cathares quand ils se répandirent dans le Languedoc. En fait, d’ailleurs, la ville même d’Albi fut relativement peu touchée par le catharisme : le nom fut donné sans doute après l’échec du colloque de Lombers, ville voisine d’Albi, tenu en 1157 au cours duquel des théologiens catholiques n’avaient pas réussi à convaincre les hérétiques. Si le pays albigeois proprement dit connut, certes, un développement réel (à Cordes par exemple), un épanouissement tout aussi important eut lieu dans d’autres parties du Languedoc et de l’Occitanie.
De toute manière, l’albigéisme marqua bien la phase la plus dramatique du catharisme, celle de son épanouissement dans toute l’Occitanie et en fait tous les pays de langue d’Oc, mais aussi celle de sa destinée suprêmement tragique. L’atroce drame albigeois couvre en fait trois générations, qui virent l’apogée et la ruine de la civilisation méridionale à laquelle la spiritualité cathare avait si étroitement lié son sort. On ne doit pas oublier cette longue durée de la terrible « Croisade des Albigeois » : drame atroce au cours duquel la cruauté et la haine se déchaînèrent d’une manière particulièrement inexpiable. Inutile de nous étendre sur les massacres et les atrocités commises par les soi-disant « Croisés » venus du Nord sur l’impitoyable répression ecclésiastique qui - lorsque l’Occitanie une fois conquise - s’acharna à traquer l’hérésie dans toutes les classes sociales.
Nous rappellerons uniquement et seulement l’hallucinant épisode qui suivit la prise du château de Montségur : l’énorme bûcher du 16 mars 1244 qui fit 210 victimes. Mais, à Lavaur, n’avait-on pas fait mieux avec 400 Parfaits brûlés vifs d’un seul coup ! Mais ce fut bien supérieur à la sombre période médiévale en matière d’extermination massive d’êtres humains jugés « nuisibles », le XXe siècle devait faire bien mieux encore si on peut dire.
Pourquoi les Cathares furent-ils l’objet d’une « croisade » tellement impitoyable ?
Comme les Templiers, ils furent victimes de la tiare et de la couronne. Comme les premiers, les Cathares avaient dû affronter la même accusation odieuse (« quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage », dit le proverbe populaire) : les Parfaits cathares furent accusés de sodomie, sans doute parce qu’ils allaient toujours par deux dans leur terrible évangélisation. Accusation odieuse et absurde contre des hommes qui n’avaient fait vœu de totale pureté physique.
Cathare vient en effet du grec (catharsis), ce mot signifie pur : purs, les « Parfaits » l’étaient ; nous verrons tout à l’heure la profondeur de leur ascétisme. Mais, durs pour eux-mêmes, ils étaient charité, amour, indulgence pour les autres, quelles que fussent leurs faiblesses : les « Parfaits » étaient surnommés les « bons hommes » par la population où ils exerçaient leur apostolat. Mais pourquoi le Languedoc, l’Occitanie reçurent-ils avec tant d’ardeur la prédication cathare ? A quoi cela tenait-il ? En partie, certes, à l’admirable organisation et à l’efficacité de la prédication des « Parfaits », qui étaient en liaison avec les dualistes d’Italie et même des Balkans. Par exemple, les Cathares tiendront un concile en 1167 à Saint-Félix-de-Carman ; parmi les participants présents, l’évêque Bogomile Nicetas venu spécialement de Bulgarie.
L’actif commence entre l’Occitanie et l’Europe orientale, qui favorisa d’ailleurs le développement du catharisme. D’autre part, n’oublions pas que les données politiques et sociales, très importantes (le particularisme méridional équivalait pratiquement à une indépendance de fait) de l’Occitanie étaient vues d’un très mauvais oeil par les seigneurs du Nord, et encore par le pouvoir royal. Nous n’hésiterons donc pas à dire que, même s’il n’y avait pas eu de catharisme, la conquête du Languedoc se serait trouvée engagée tôt ou tard par le pouvoir royal sous un prétexte quelconque. Comme pour le drame templier, on trouve dans la racine du drame cathare une impitoyable question de raison d’Etat.
Le catharisme prit vite figure d’une Église nationale, symbole de l’indépendance occitane. D’ailleurs, bien des catholiques languedociens luttèrent contre les envahisseurs venus du Nord : ne croyons pas que les troupes qui résistèrent si longtemps à l’annexion brutale étaient toutes composées de Cathares.
L’Occitanie était appelée tôt ou tard, répétons-le, à devenir une proie bien tentante pour le pouvoir royal
Mais pourquoi un tel succès du catharisme en Languedoc.
L’Église catholique, avant les efforts que devait déployer Saint-Domingue pour en réformer ses mœurs, était tombée bien bas dans le Languedoc : le clergé, et même les moines, donnèrent un exemple assez peu édifiant ; d’où, par le contrecoup normal, le grand prestige des Cathares auprès de la population. Pourtant il peut sembler paradoxal de voir l’Occitanie - où s’est développée une civilisation très raffinée et très luxurieuse, une douceur de vivre quelque peu indulgente aux faiblesses humaines - faire un accueil aussi enthousiaste à des maîtres spirituels qui prêchent sans compromission le total renoncement aux plaisirs charnels, un ascétisme très strict.
Mais, ne l’oublions pas, les Parfaits n’étaient qu’une faible minorité : s’ils prêchent certes au définitif et au total renoncement des joies de ce monde, ils ne forçaient personne à se conformer à leur exemple si pur, en raison même de leur respect intégral d’une éthique de non-violence, de charité absolue. Ils n’étaient guère gênants en fait pour tous ceux qui, eux, cherchaient des « accommodements »
D’autre part, il faut noter la sympathie manifestée tout naturellement à la spiritualité cathare par les troubadours méridionaux, ces chantres d’un amour courtois totalement libérés des conditionnements charnels. Écoutons UC de Saint-Circ : « prenez ma vie en hommage belle et Dieu merci, pourvu que vous m’accordiez que par vous au ciel je tende ! » et aussi Guiraut de Calernson : « dans le palais où elle siège (la Dame) sont cinq portes : celui qui peut ouvrir les deux premières passe aisément les trois autres, mais il lui est difficile d’en sortir. Et vit dans la joie celui qui peut y rester. On n’y accède que par quatre degrés très doux, mais là n’entre ni vilain, ni malotru, ces gens-là sont logés dans les faubourgs, lesquels occupent plus de la moitié du monde.
Un autre troubadour, Guiraut Riquier, donna de ce beau passage le commentaire suivant, très précis dans sa concision : « les cinq portes sont Désir, Prières, Servir, Baiser et Faire par là où l’amour périt ».
Amour platonique de la « Dame « choisie par le troubadour par excellence (la Reine du Ciel et de la Terre). Queste initiatique du Saint Graal : ces splendides doctrines de l’ésotérisme des troubadours ne pouvaient que rendre ceux-ci aptes à comprendre l’entière spiritualité ascétique des Cathares.
Comme, même dans la clarté la plus aveugle, il se glisse malgré tout un peu d’ombre sournoise, signalons que le zèle de certains seigneurs méridionaux a favorisé les Cathares et ne fut pas toujours (certes, le cas a existé chez les plus nobles figures) dû à des motifs spirituels ; en confisquant les biens de l’Église catholique, ils n’avaient pas à en faire don aux « bons hommes » qui, non seulement ne possédaient rien mais qui n’avaient fait voeu de pauvreté totale ; d’où bénéfice total pour le seigneur qui procédait à la sécularisation.
On devait retrouver une même utilisation des circonstances éminemment pure en elle-même lors de la Réforme : le zèle avec lequel certains seigneurs et souverains allemands procédaient à de fructueuses sécularisations des biens conventionnels laissait supposer des motifs pas toujours très clairs à leur conversion tellement rapide du (?)
Mais revenons aux Cathares. Quelle était donc leur doctrine ?
I - LA DOCTRINE CATHARE
Le catharisme peut être défini, au point de vue spirituel et philosophique, comme étant un dualisme religieux. Laissons la parole à un texte cathare, le livre des ND Principes (texte publié par René Nelli dans son livre Écritures cathares, pages 172-173) :
« Que les gens instruits lisent donc les Écritures et, sans aucun doute, ils se convaincront qu’il existe un lieu mauvais - seigneurs et créateurs - qui est la source et la cause de tous les maux (...), sans quoi il leur faudrait nécessairement confesser que c’est le vrai Dieu lui-même - celui qui est la lumière et qui est bon et sain, celui qui est la fontaine de vie et l’origine de toute douceur, de toute suavité et de toute justice - qui serait la cause de toute iniquité et toute injustice, et que tout ce qui est opposé à ce Dieu, comme étant son contraire, procéderait en réalité de lui seul : c’est qu’aucun sage n’aurait jamais la sottise de soutenir dualiste sans équivoque ni compromission ».
C’est pourquoi nous devons nécessairement reconnaître qu’il existe un autre principe, le principe du mal, que ce principe paraît animer Dieu contre sa nature et la créature contre son Dieu ; et qu’il pousse Dieu à vouloir y désirer ce que, de lui-même, il ne voudrait nullement. D’où il résulte que, sous cette (?) que l’Ennemi malin, le vrai Dieu veut qu’il souffre, se repent, sert ses propres créatures et peut-être, aidé par elles (p. 96), nul échappatoire n’est possible. Il est donc évident que tout ce que l’on trouve de beau dans la créature de Dieu vient directement de lui et par lui. C’est lui qui a donné son être au bien et qui en est la cause (...). Mais le mal, s’il se rencontre dans le peuple de Dieu, ne provient pas du vrai Dieu ni ne se manifeste par lui : ce n’est pas Dieu qui l’a fait exister, car il n’est pas sa cause et ne l’a jamais été (p. 101). Impossible autrement d’expliquer le mal. On doit donc considérer ici que nul en ce monde ne peut nous montrer le Dieu mauvais, d’une façon visible et temporelle, pas plus qu’ailleurs que le Dieu bon, mais que c’est par l’effet que l’on connaît la cause (p. 161).
Mais il est extrêmement important de préciser que les Cathares n’entendaient pas en fait (malgré certaines expressions suscitant la confusion) l’existence des « deux Dieux » de puissance égale, mais bien plutôt de deux principes. La nuance est capitale. A cet égard, nous laisserons la parole à l’adversaire qu’aurait affronté Saint Augustin dans ses polémiques, l’évêque manichéen Faustus de Milède. Voici, tel qu’il se trouve reproduit dans le contrat Faustum, le dialogue qui s’engagea contre le théologien dualiste et le grand champion de l’Église catholique: « croyez-vous qu’il y ait deux Dieux lorsqu’il n’y en a qu’un seul ? Il n’y a absolument qu’un seul Dieu. Dieu vient donc que l’on nous a entendus dire « deux Dieux », mais sur quoi fondez-vous le soupçon ? Vous affirmez deux principes, l’un du bien et l’autre du mal. Il est vrai que nous connaissons deux principes, mais qu’il n’y en a qu’un que nous appelons Dieu ; nous nommons l’autre Hylé ou la matière ou, comme on dit plus communément, le démon. Or, si on prétendait que c’est là qu’on établit qu’il y a deux Dieux, vous prétendez aussi qu’un médecin qui traite de la santé et de la maladie établit qu’il y a deux « santés », d’où un philosophe qui discourt du bien et du mal, de l’abondance et de la pauvreté, soutient qu’il y a deux « biens » et deux « abondances ».
Pour comprendre le véritable sens du dualisme spirituel, on se rapportera avec profit aux beaux ouvrages d’un auteur qui, de nos jours, renoue si intrépidement avec l’ascétisme critique dans toute sa rigueur : J.-C. Salémi (livre publié par les Editions Ondes Vives, 26, rue Louis Blanc, Saint-Leu-la-Fôret, Val d’Oise). Leurs études ouvrent d’importants éclaircissements capables de mener à une claire compréhension des fondements même de l’aspect spiritualité cathare.
On pourrait aussi concevoir que le mal, la privation, entrent dans le plan deux Plans. Le dualisme cathare tel que nous le connaissons aurait-il, dans son aspect ésotérique, débouché sur une doctrine de la complémentarité de ses deux principes, conçus comme « main droite » et « main gauche » de Dieu ? C’est la question que nous osons soulever. De toute manière, le dualisme est, sur le plan du monde sensible où nous vivons, quelque chose d’indéniable et de combien tragique. Nous voyons s’affronter le Bien, c’est-à-dire l’Etre à la suprême puissance ; et le Mal qui, lui, tend vers le non-être : le principe même de la négation, de la corruption, de la destruction - le principe inhérent de la matière en elle-même. Comme le disait un autre théologien manichéen, adversaire de Saint Augustin, Fortuna : « quant à l’autre principe, nous l’appelons matière ou, un terme plus connu et plus usité, démon ».
Dans cette perspective, qu’est-ce qu’est l’âme humaine ? C’est une étincelle de lumière captive des ténèbres, un ange déchu (animalisé), une essence lumineuse tragiquement emprisonnée dans le corps. A la fin du présent cycle terrestre se produire la grande consécration purificatrice. Voici un passage du traité cathare, la Cène secrète, Version Vienne (Nelli, Écritures cathares, page 66) :
« Et alors, avec la permission du père, une ténébreuse géhenne de noirceur et de feu sortira des profondeurs de la terre, qui consumera toute chose depuis les plus basses parties de la terre jusqu’au firmament de l’air ». Le « feu noir » émanant de la terre devra finalement consumer le monde. Ainsi se terminera enfin la période de la manifestation terrestre, du temps matériel, durant laquelle les esprits se trouvent emprisonnés dans la chair de ces appétits animaux.
Selon les théologiens cathares, Jésus-Christ n’avait pas pris en fait un corps physique : il n’était venu qu’en apparence (c’est la doctrine appelée docétisme par la théologie catholique). Les Cathares refusaient donc de vénérer le crucifix. A ce propos, on pourrait songer à ce rite bien irritant du reniement de la Croix, que l’on reprochera aux Templiers lors du procès. C’est du moins une question intéressante à poser.
Voici maintenant la pure et dure éthique cathare. Dans la perspective dualiste qui en est le fondement, la procréation se trouvera considérée comme négative par essence (nécessaire seulement d’une manière transitoire comme le terrible moyen de punition des âmes déchues) : l’enfantement a pour résultat de faire descendre les âmes dans la matière, de les emprisonner dans le corps animal.
Dès qu’il a été illuminé par la Vérité, l’homme devrait - selon l’éthique cathare - vivre désormais dans l’ascétisme le plus rigoureux : détachement volontaire de toutes les conditions charnelles, à commencer par le sexe. De même, la non-violence intégrale s’imposera au Parfait : tuer, c’est risquer d’interrompre la pénitence, l’épreuve purificatrice d’un esprit incarné. Les Cathares croyaient non seulement à la réincarnation dans des corps humains, mais (dans des cas vraiment très graves du moins) à la métempsycose de certaines âmes et en des corps animaux. L’ascétisme total s’impose. Dans un rituel occitan (Nelli, Écritures cathares, p. 213), nous lisons :
« O Seigneur, juge et condamne les vices de la chair. N’aies pas pitié de la chair née de corruption, mais aies pitié de l’esprit mis en prison ».
Et, d’autres passages du même document, en page 221 : « il convient également que vous haïssiez ce monde et ses oeuvres, ainsi que les choses qui sont de lui (...) ».
Mais s’ils invitaient ainsi l‘humanité à s’engager dans cette dure voie du total renoncement, les Cathares ne cherchaient nullement à imposer cet idéal, à contraindre les hommes ordinaires (avec toutes leurs lamentables faiblesses), à vaincre sans pitié leurs désirs corporels : pour la plupart des hommes, nécessité de plusieurs vies avant de mériter le Consolamentum (nous verrons ce que désigne ce mot).
Au début de la Croisade des Albigeois, il y avait quelques milliers de Parfaits ; et on connaît deux cas seulement d’abjuration. On ne peut qu’admirer une foi aussi pure et ardente qui suscite tant de martyrs intrépides.
Pour se distinguer des humbles Croyants, les Parfaits se ceignaient d’une corde et portaient une grande pèlerine noire. Au moment des persécutions, ils gardèrent seulement la corde cachée sous leurs vêtements ordinaires. Les femmes, comme les hommes, pouvaient accéder au rang de Parfaits.
Pourquoi ce nom de Parfaits chez des êtres qui rejettent tout orgueil personnel ? Outre que les Parfaits se trouvaient devenir la résistance privilégiée (mais impersonnelle) de l’esprit saint, l’expression « Parfaits Chrétiens » doit être entendue en songeant au latin Perfectos, qui signifie tout simplement « Accomplir ». Les Parfaits se trouvaient passer au-delà des joies et des devoirs du monde profane.
A la tête de chaque communauté cathare il y avait un diacre et à la tête de l’Église cathare, un évêque. L’Église cathare avait-elle un chef suprême ? On a pu le penser.
II - CEREMONIE DU RITE
Le culte public de l’Église cathare était extrêmement simple : par son dépouillement, il peut ainsi être considéré comme une sorte de préfiguration des formes les plus radicales du protestantisme. Mais, outre la cérémonie habituelle de la liturgie chrétienne, les lieux de culte cathare servaient de théâtre à deux pratiques dans lesquelles il est loisible de voir les deux degrés successifs d’une initiation, bien qu’il s’agisse de cérémonies publiques.
Premièrement, la tradition de l’oraison dominicale devait, devant l’assemblée des fidèles, d’abord d’être présenté par son parrain (d’ordinaire le doyen de la communauté appelé ancien). Le Croyant écoutait l’explication du rituel ; c’est alors que s’accomplissait le rite de la remise des Évangiles. Le Croyant faisait enfin son melioramentum, c’est-à-dire une demande de bénédiction et de pardon des fautes par les Parfaits.
Deuxièmement, l’entrée dans la catégorie des Parfaits ou Élus se faisait par le baptême spirituel spécial, appelé Consolamentum (Consolation). Après un discours, le ministre plaçait le livre des Évangiles sur la tête du récipiendaire. Chacun des assistants parvenu au degré de Parfait devait, lui aussi, apposer la main droite (nous retrouvons ici un rite essentiel du christianisme primitif). Le maître des cérémonies lisait le prologue de l’Évangile de Saint Jean dans son texte latin. On récitait plusieurs fois l’oraison dominicale, accompagnée de formules spéciales d’adoration. Avant de se séparer, le nouveau Parfait échangeait le baiser de paix avec les participants et recevait une pénitence liturgique, le Servicium.
Le Consolamentum avait pour but de réunir l’âme à l’esprit saint (le noyau divin de la personnalité). Le Parfait devait vivre dès lors dans un ascétisme total : s’il retombait dans le péché, l’expiration était très dure. Devant la gravité des engagements pris, on comprend que de nombreux fidèles aient attendu le tout dernier moment pour se faire consoler. On a accusé les Cathares de conseiller, si un malade que l’on croyait mourant se rétablissait, le suicide par inanition (problème de l’endurât). Cette accusation semble fausse. Citons le rituel occitan (Nelli, Écritures cathares, P. 277).
« Si le malade maintenant survit, les Chrétiens doivent le présenter à l’Ordre et prier pour qu’il se fasse consoler de nouveau le plus tôt qu’il pourra : et sur ce point qu’il suive sa volonté ».
Existe-t-il, en outre, des rites initiatiques extrêmement secrets qui marquaient autant de degrés accessibles ? Le célèbre château fort de Montségur (dans l’Ariège) recèle dans son plan même la possibilité de repérer avec une très grande précision les positions principales du soleil à son lever au cours de l’année. Tout laisse supposer qu’avant de devenir par la force des choses une forteresse, le château de Montségur était en réalité le grand temple solaire des hauts initiés cathares (1), le site ayant d’ailleurs été (on constate toujours le phénomène de la superposition temporelle des voies initiatiques) un haut-lieu solaire bien avant l’avènement du christianisme.
De même, certaines grottes pyrénéennes à peintures symboliques semblent avoir été utilisées par les Cathares comme labyrinthe initiatique.
On devrait songer aussi au rapport possible entre les Cathares de la société hermétique chrétienne des fidèles d’Amon, dont le Dante en fit partie. Signalons pour mémoire le fameux problème du Trésor des Cathares : son existence n’a rien d’impossible mais (en réservant la tradition selon laquelle le Saint Graal serait caché sous la colline de Montségur) - dirions-nous - pourquoi y cacher à tout prix la formidable richesse matérielle ? On pense à des manuscrits ou à des objets initiatiques.
III - LA SURVIVANCE DU CATHARISME
Les historiens universitaires nient d’ordinaire la survivance du catharisme depuis la réduction des forteresses de Montségur et de Querifus, puis surtout l’impitoyable « ratissage » subséquent de toute l’Occitanie par les inquisiteurs. En fait, et si, pour certains néo-cathares d’aujourd’hui, il s’agit d’une simple résurgence sentimentale, il semble que - pour parler familièrement - les inquisiteurs n’aient pas « eu » tous les Cathares. l’Histoire récente a pu prouver que, même avec les moyens policiers les plus perfectionnés, on n’arrive jamais à supprimer totalement des groupes, voire des collectivités entières que l’on veut exterminer. Il semble que la survivance secrète du catharisme se soit faite de deux manières : d’une part par des petits noyaux ayant réussi à se terrer et, surtout, à n’être pas « repérés » (2) ; d’autre part, grâce à l’intégration d’apports initiatiques cathares dans les diverses filiations ésotériques. Nous touchons ici au problème des liens du catharisme avec la chevalerie du Graal, puis avec les Templiers, avec la rose-croix. Par contre, par exemple le musée cathare d’Ussat-les-Bains a été organisé par une branche actuelle du rosicrucianisme qui se réclame précisément des Cathares. Signalons aussi l’intérêt actif de Frédéric Mistral, dans les faits libres pour les traditions cathares. Quoi qu’il en soit, les citharistes semblent plus que jamais fasciner le public. En effet, il ne s’agit plus seulement d’une curiosité intérieure aux fervents de la spiritualité et de l’ésotérisme, mais de l’histoire de France.
Alexandre von Saenger
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE.
- Serge Hutin. Les Cathares. (Article).
- Cahiers d’Etudes Cathares. Revue. A Arques ; dans l’Aude.
- Pierre Durban. Actualités du catharisme.
- Paul Cassé. Mes ancêtres les Cathares.
- Duc de Lévis-Mirepoix. Montségur. Roman. Le livre de Poche. Paris.
- Maurice Maigre. Le trésor des Albigeois. Fasquelle Editeur.
- René Nelli. Écritures cathares. Denoël Éditeur ; Paris.
- Denis de Rougemont. L’Amour et l’Occident. Plon, Éditeur ; Paris.
- Henri-Charles Puech. Le manichéisme. Musée Guimet. Paris.
source : http://www.ledifice.net/
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