VI VERI VENIVERSUM VIVUS VICI



jeudi 20 septembre 2007

Les débuts de l’Aigle à deux têtes en Maçonnerie

L’Aigle à deux têtes apparaît en Maçonnerie en France dans le tout début des années 1760 avec le grade de Grand Inspecteur Grand Élu ou Chevalier Kadosh. On le découvre ainsi dans la fameuse lettre que les Maçons de Metz écrivent à ceux de Lyon en juin 1761. Ce précieux courrier a pour objet l'information réciproque des dignitaires de l'ordre sur les grades connus ou pratiqués dans les deux orients. Les Maçons lorrains y expliquent que le grade le plus élevé qu'ils pratiquent est celui de « Chevalier Grand Inspeur Grand Elû der grade », en conséquence, « Tous les grades […] sont tous subordonnés à ce dernier » , or :

« Le petit attribut [de ce grade] est un aigle d'or éployé portant une couronne de prince sur les deux têtes et tenant un poignard dans ses serres. Le grand attribut est une Croix rouge à 8 pointes semblable à celle de Malthe ; sur le centre, dans un Cercle, sont une Epée et un poignard en sautoir »

On trouve justement au bas de la copie d'un procès-verbal conservée dans les archives de la Loge « de Saint Jean » de Metz un très beau sceau présentant un aigle à deux têtes. Ce document est daté du 25 avril 1763 et il n’est pas indifférent que le signataire en soit le frère Le Boucher de Lénoncourt. On le connaît en effet comme l’un des principaux promoteurs du grade de Kadosh dans les années 1760. Ce sceau présente donc très probablement l’iconographie première de l’aigle à deux têtes en Maçonnerie. Peut-on attribuer la réalisation de ce sceau à Augustin Pantaléon, l'une des personnalités du cénacle animé par Le Boucher de Lénoncourt, qui exerçait la profession de graveur ? Nous aurions donc là, à la fois le dessin originel de l'aigle à deux têtes dans l'Ordre maçonnique et son auteur !
Dans un courrier confidentiel à Willermoz, Meunier de Précourt révèle l'enseignement secret du grade de Grand Inspecteur Grand Élu ou Chevalier Kadosh : les francs-maçons sont en fait les descendants de « ces fameux infortunés T....... [Templiers] ». Il y ajoute une glose sur l'emblème du grade :

« L'aigle portant un poignard dans ses serres avec ces mots : Neccum Adonay, Vengeance à Dieu, nous représente les dernières paroles de Jacques de Molay, dernier Grand Maître, quand il ajourna le pape et le roy ; ajournement terrible vérifié par l'événement. L'aigle, l'animal qui plane le plus haut dans les airs et le seul qui fixe le soleil, est le juste emblème de cet infortuné vieilllard »

Dans la lettre suivante où Meunier de Précourt entreprend d'exposer dans le détail les liens entre les Templiers et les Chevaliers G.I.G.E. , l'explication est un peu différente. Ce sont en effet les Templiers survivants au supplice qui :

« Comme l'aigle est le Roy des oiseaux et le seul qui regarde fixement le soleil, ils le prirent pour devise en l'armant d'un poignard dans les serres, comme pour demander justice à la divinité d'un aussi horrible attentat »

On doit noter que ces explications n'éclairent pas sur le caractère éployé de la dite aigle. Peut-être celui-ci devait-il contribuer à assurer la préséance du Kadosh sur un autre grade apparu à la même époque et qui allait contester au Chevalier G.I.G.E. le rôle terminal de Nec plus Ultra de la maçonnerie : le Chevalier de l'Aigle Rose-Croix. La symbolique de l'aigle – monocéphale – y joue en effet un rôle. Mais peut-être, tout simplement, l'aigle à deux têtes, dont les qualités chevaleresques et de souveraineté appartenaient au fond commun de la symbolique occidentale, apparut-il particulièrement adapté pour ce grade auquel « Tous les [autres… devaient être] subordonnés » ; grade qui en conséquence se voulait porteur des plus précieuses révélations de la Maçonnerie et aspirait à gouverner l'Ordre.
Toujours est-il que le G.I.G.E. ou Chevalier Kadosh allait connaître une grande fortune dans la Maçonnerie française des années 1760 et avec lui son emblème, l’aigle à deux têtes. Ainsi, dès 1762, les dignitaires de la Grande Loge des Maîtres de Paris, dite de France, avec à sa tête le substitut du Grand Maître, Chaillon de Jonville, s'annoncent « décorés du Grade par Excellence de G.I.G.E. ». Tous les rituels manuscrits de G.I.G.E. ou Chevalier Kadosh qui nous sont parvenus présentent l’aigle à deux têtes comme l'emblème du grade. Celui-ci se trouve ainsi associé au Nec plus Ultra de la Maçonnerie et devient donc, de fait, le symbole d'une fonction dirigeante dans la Première Grande Loge de France.


Article paru dans le n° 107-108 (tome XXVII, 1996). Texte reproduit intégralement mais sans les notes et références bibliographiques, ni les illustrations.

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